par Laquarius Nix » 09 Mai 2018, 00:49
La route me paraît interminable. Pourtant ça ne fait guère plus de dix minutes que je marche, mais chaque pas semble s’alourdir. J’ai du mal à avancer. Impossible de dire si ce sont mes jambes qui me font défaut ou bien ce poids qui écrase mes épaules. À la réflexion faite, c’est plutôt ce satané col trop serré qui m’empêche de respirer. Cette pensée me traverse à peine que mes doigts se glissent instinctivement dans l’interstice de mon armure pour tirer dessus et puis cette douleur dans mon dos, je ne me suis pas raté avec cette explosion tout à l’heure. C’était spectaculaire, oui, mais incroyablement risqué, pour pas grand-chose surtout. Le plaisir d’utiliser ses jouets, j’imagine. Un soupire glisse à travers mes lèvres. C’est bien la peine de se voiler la face quand on sait nous même que nous nous cherchons une excuse. Mon dos est oublié depuis longtemps, il ne m’a pas gêné pendant ma petite altercation. Tout comme ma protection me va comme un gant puisqu’elle est faite sur mesure. La seule chose qui m’empêche d’avancer c’est l’envie. À moins que ce ne soit la peur de ce que je trouverai. Non, pas de ce que je trouverai, ça je ne le sais que trop bien, mais plutôt de ce que je ferai.
Une demi heure et deux pauses plus tard, j’arrive enfin, non pas devant le bar D’Elisabeth, mais face à la porte d’un bureau. Le garde à l’entrée du bâtiment a eu beau montrer les crocs, me voilà. Le pauvre a jugé bon de rire quand je lui ai annoncé que je tenais à entrer, interdiction ou pas. En temps normal j’aurai pris le temps de l’achever, mais là je l’avais laissé en plan. Un corps inconscient à la main droite percée et au visage barré d’une unique griffe remontant du coin de ses lèvres à son œil désormais aveugle. Cet incident fut le premier et visiblement le dernier puisque la monté des deux étages qui a suivi s’est déroulée dans un calme olympien. Bonne ou mauvaise nouvelle, je n’en sais rien. Mais cette pensée est loin derrière moi depuis la seconde où mes yeux se sont posés sur cette porte. En fait, tout est loin derrière moi. Il ne me reste que ce poids qui presse mes épaules. Celui-là même qui me plaquait au sol quand je marchais tout à l’heure. Je connais cette sensation. Enfin je crois la connaître. Rien ne me paraît plus évident. C’est presque comme si j’en venais à douter de comment me servir de mes armes. Plus précisément, je doute d’à peu près tout. La seule chose dont je suis sûr c’est que je connais cet endroit, ces murs, cette porte, ces odeurs. Mais pourquoi je me sens oppressé, mon nez agressé par des senteurs abjectes ? Pourquoi des ombres malsaines dansent autour de moi ? Je veux partir, m’enfuir. Il y a quelque chose ici que je ne veux pas affronter. Pourtant j’ai besoin d’aller vers cette porte. C’est même plus qu’un besoin, c’est un devoir. Il faut que je passe ce seuil. C’est plus important que tout. Ensuite ? Advienne que pourra. Je n’ai pas le choix.
Ma respiration se saccade. Un Turien se tient en face de moi. Il est vieux, je le connais. C’est mon père. Tout me revient de plein fouet. Ce pourquoi je suis là. Toute cette rancoeur, la trahison, la vengeance. Je dois en avoir le coeur net. Il lève la tête et n’arrive visiblement pas à cacher sa surprise.
« Laquarius.. ? C’est bien toi ? »
« Oui. »
L’ombre d’un sourire semble se glisser sur ses lèvres avant que son visage ne s’assombrisse brutalement.
« Que fais-tu là ? Je croyais ne jamais te revoir. »
Le sang sur mon armure n’est probablement pas passé inaperçu. Il est aussi au courant de mes activités, alors je préfère mettre les choses au clair.
« C’est purement personnel. »
Un silence s’installe. Intérieurement, une rage profondément ancrée dans mes entrailles commence à remuer.
« Je l’ai fait. Tu n’as pas pu m’en empêcher. »
Je serre les poings.
« Tu n’aurais pas dû m’en empêcher. »
Les petits remous se muent peu à peu en grognements.
« Tu aurais dû m’aider. »
Ma voix vacille légèrement. Je me contiens au prix d’un effort herculéen, mais c’est trop tard, de véritables rugissement résonnent en moi.
« Tu n’as rien fait ! Pire encore ! Tu as essayé de me détourné de cette voie ! »
Le ton de mon père s’accorde au mien.
« Et quelle voie ?! Une vengeance futile ! »
C’est le mot de trop. Je vois rouge. Le monde entier s’embrase autour de moi. Sans même réfléchir, j’attrape le bureau derrière lequel il est assis et lui lance dessus. Le meuble bascule et s’écrase sur mon père. Entraîné par la vitesse et le poids de l’objet, sa chaise se renverse.
« J’AI APPORTÉ LA JUSTICE. »
Au sol, mon père n’en démord pas pour autant.
« Tu as ajouté un cadavre de plus, tu ne l'as pas faite revenir comme ça et tu t’en rends compte maintenant. Voilà pourquoi tu te mets dans cet état. »
Il me toise presque.
« Qu’est-ce que tu viens faire ici ? C’est ma seule question. Nous aurions pu être heureux à deux, reconstruire ce que nous avons perdu. Tu as refusé tout cela, alors que cherches-tu, mon fils ? »
C’est comme s’il a craché ces deux derniers mots. Je le regarde, plein d’émotions, sans pour autant pouvoir mettre un nom sur chacune d’elles. Ce qui est sûr c’est que le doute n’en fait plus parti.
« J’ai pris sa vie, je l’ai laissé mourir comme un chien. Il s’est vidé de son sang jusqu’à la mort. Il a eu une fin des plus douloureuses, je m’en suis assuré. Alors pourquoi je ne suis pas satisfait ? Pourquoi j’ai l’impression que je n’en ai pas fini ? »
Ses yeux trahissent le fait qu’il m’a compris.
« Je suis ton père. »
Ma voix retombe dans un murmure.
« C’est bien ça le problème. »
D’un geste, je dégaine mon pistolet et abats le Turien sans défense. Une balle propre, professionnelle, il meurt sur le coup.
Je lâche mon arme et tombe à genoux. Mes forces me quittent. Mes yeux ne peuvent se détacher de mes mains. Plus particulièrement de tout le sang qui en dégouline. Le liquide rouge glisse entre mes doigts pour se perdre dans le néant. Je reste bloqué un instant sur cette image avant de papillonner des yeux pour les rouvrir sur mes mains normales, crasseuses, certes, mais plus ces fontaines rougeoyantes d’il y a une seconde. Mon souffle se fait plus fort. Je ne sais plus où j’en suis. Ce devrait être la fin, pourtant non, je suis encore en vie. Un élan de rage me saisi à nouveau. Je me redresse d’un coup et frappe le mur le plus proche un première fois. Mes phalanges me pincent. J’arme mon poing et frappe encore, aidé de mon armure cette fois. Les coups pleuvent. Une trace distincte commence à se dessiner devant moi, clairsemée d’éclats cramoisis. Je ne sens plus ma main, mais il m’en reste une deuxième. Sans hésitation, je ramasse le pistolet au sol.
Soudain la porte s’ouvre. Par réflexe, je braque mon arme dans sa direction. Une onde azurée me percute et m’envoie au sol.
« Comment oses-tu pointer cette chose sur moi ? »
Je ne sais pas comment réagir. Élisabeth se tient dans l’ouverture un léger halo aux reflets turquoises s’évapore à la lisière de sa silhouette.
« Je savais que je te trouverai ici. Je vois que j’arrive à temps. »
Elle s’avance vers moi avec sa grâce habituelle. Si je ne percevais pas le subtil claquement de ses talons, je pourrai croire qu’elle survole le sol trop sale pour elle. Les volants de sa longue robe semblent d’ailleurs l’avoir compris, ils sont suspendus à peine à un millimètre du plancher, immobiles ou presque. Son visage est sévère comme à son habitude, mais son ton est doux quand elle s’adresse à moi.
« As-tu obtenu ce que tu voulais ? »
« Je ne sais pas. »
« Tu comprends bien que tu ne pourras pas avoir plus que cela ? »
Je ne réponds pas. Si, je pourrai. En la tuant elle je ferai table rase du passé, une bonne fois pour toute. Mais je n’en suis pas capable. Plutôt que de parler, je la regarde, à moitié effrayé par la pensée qui vient de me traverser l’esprit. Je me redresse doucement et tourne brusquement les talons pour m’élancer contre la fenêtre. Le carreau ne fait pas le poids et cède instantanément. Je ne suis qu’au deuxième étage mais la hauteur est déjà assez conséquente pour faire des dégâts. Tant pis, ça vaut mieux même. L’air frais m'aspire, je reste un instant comme suspendu avant de chuter. Le temps se dilate, le bâtiment se distord. N’ai-je pas monté que deux misérables étages ? Alors pourquoi vois-je une infinité de fenêtres défiler devant moi ? Je ne sais pas comment je me suis débrouillé mais je me retrouve la tête en bas. Après tout, autant y aller franchement. Le sol fini par se rapprocher. Il en aura mis du temps. Trop d’ailleurs. L’image de Miho me revient en tête, puis celle D’Elisabeth. L’une m’avait demandé de promettre de l’accompagner à nouveau à un repas, l’autre simplement dit de lui revenir. Mes dents crissent quand mes mâchoires se serrent avec violence. Les micropropulseurs de mon armures s’activent dans une séquence parfaite. Ma chute est ralentie et mon corps réorienté pour frapper le sol convenablement et non pas de la tête. Je m’écrase et reste à terre un instant. Des larmes ruissellent aux coins de mes yeux. J’ai été faible, je n’ai pas osé aller jusqu’au bout. Une teinte orangée vient faire scintiller mon bras gauche. Je me bouge dans une position assise et ouvre mon OmniTech. Le message D’Elisabeth est bref :
Je sais que tu n’as pas idée de ce que tu peux faire. Sache qu’il y a de cela quelques temps, j’ai lancé la construction d’une station spatiale à l’abri des regards. Je te joins un plan du site.
Reviens et nous pourrons en discuter. Ne crois pas que je te laisse tomber.
Elisabeth
Le document affiche en effet un plan annoté. J’y trouve un hôtel, un casino et un théâtre. Le but D’Elisabeth reste obscur à mes yeux mais ce qui est sûr c’est que je n’apprécie guère les casinos et préfère les ambiances plus détendues aux théâtres formels.
FIN