par Laquarius Nix » 28 Juillet 2017, 22:31
Le crissement de mes pas sur la neige m'irrite mais je poursuis inlassablement, fuyant la zone résidentielle, mes doutes et mes dernières victimes. Je me dirige vers les hauteurs, le coin plus touristique qui prospère en grande partie grâce à sa topographie. Deux petites journées -et en particulier la dernière- sur cette planète avaient suffit à immiscer une pointe de remise en cause en moi, je n'étais plus sûr de la justesse de ma croisade, ni même de son but : recherchais-je la vengeance ou tout simplement à assouvir des désirs inavouables ? J'efface ces questions d'un revers de main et m'engouffre dans un hôtel, secoue brièvement la tête en faisant perler quelques gouttes et m'avance vers la réception.
Une jeune femme m'accueille, souriante. J'ai un peu de mal à le lui rendre et grommelle ce qui ressemble à une salutation. Professionnelle, elle ne lâche pas les muscles de ses joues mais je vois très nettement son regard faire un circuit entre la crosse de mon fusil qui dépasse de mon dos, l'arme à ma ceinture, les rayures de mon armure et les tâches sombres clairsemées sur ma peau et le tissu de mon manteau fraîchement ouvert.
"Bonjour, vous avez réservé ?"
Le ton reste jovial et accueillant malgré l'ombre craintive qui vient de passer sur son visage. Je pose mes bras sur le comptoir histoire de les tenir aussi éloignés que possible de mon attirail et espère installer ainsi un climat plus détendu.
"Non mais j'espérais qu'il vous reste une chambre pour un touriste solitaire."
"Bien sûr, je vais regarder ça."
J'avais pris le parti de rester quelques temps sur place, je n'avais pas le coeur à me replonger dans le dépotoir qu'est Oméga et je souhaitais prendre le recul nécessaire pour me retrouver, mettre les choses à plat. En somme, il ne s'agit que d'une question de jours mais il me fallait cette coupure loin de la crasse de ce que j'appelle "maison". La réceptionniste finit par relever les yeux de son écran avec un sourire porteur de bons augures.
"Il nous reste bien quelques chambres. Vous avez le choix entre chambres simples et doubles, il y a une différence de place et de prix bien entendu."
Je hausse les épaules.
"Ma foi un lit simple me suffira, je n'ai pas prévu de ramener quelqu'un, pas encore."
Un petit clin d'oeil conclu ma phrase, auquel la femme répond d'un petit rire. C'est étrange, en temps normal j'aime jouer mes rôles, mais là l'hypocrisie dont nous faisons tous deux preuve me révulse. Je n'ai pas la tête à ça, les masques dont je me pare si fréquemment me font horreur à cet instant, j'ai presque envie de la saisir par son petit col claudine et de lui hurler que je suis un mercenaire responsable de dizaines morts dont les plus violentes étaient hors contrat.
"Vous souhaitez séjourner ici pour combien de temps ?"
"Mettons deux jours, je peux toujours repasser pour allonger mes vacances ?"
"Bien entendu, à moins qu'une réservation ne tombe. Donc deux jours, vous êtes sûr ?"
"Bah ! Arrondissez ça à trois, je verrai bien."
"D'accord monsieur. Il va juste me falloir un nom et.. petit déjeuner ?"
Une hésitation me saisit, mes mains se serrent, mon nom est précieux, je n'aime pas l'abandonner à tout va et ai pour habitude d'user de faux. Pas cette fois, je dois m'assumer, si cette petite venait à appeler les autorités je n'avais qu'à réaliser que me trimballer avec un tel équipement est facteur d'ennui.
"Nix et je profiterai de votre petit déjeuner oui."
Elle annonce le total et laisse sa phrase tomber dans le vide alors qu'elle me proposait d'appeler un agent pour porter mes bagages. Je n'ai que mon nécessaire de mission, autrement dit un petit sac contenant le minimum en terme d'hygiène, mes armes et des cartouches cachées dans mes poches. Un sourire lourd de lassitude répond à son regard interloqué. La jeune femme m'attribue la chambre 101, m'indique l'ascenseur, le restaurant et le bar de l'hôtel en précisant que le service matinal se fait ici. Je pars vers l'escalier en précisant que je ne souhaite pas que le ménage soit fait dans ma chambre. Mon interlocutrice tapote vivement devant elle avec un air laissant comprendre qu'elle s'y attendait.
"Bon séjour au Cheval Blanc M. Nix."
Une fois arrivé dans mon chez moi temporaire je commence par décrocher les trois tableaux, vérifiant à chaque fois la présence de micro ou caméra, puis pose face contre terre Les Alpes Rougeoyantes, Bouquet et un tableau sans nom représentant encore un paysage montagnard. Une fois le tout poussé sous la petite table qui longe le mur, j'obstrue la fenêtre qui donne sur une piste de ski en tirant le rideau, il n'est pas assez opaque à mon goût alors j'entreprends d'attacher mon manteau à la tringle comme complément. Je me retrouve donc avec ma Veuve Noire dans les mains et vais la poser contre la porte d'entrée, un geste qui peut sembler étrange mais si jamais le battant venait à s'ouvrir, ne serait-ce qu'un peu, l'arme tomberait, m'alertant par la même occasion. Tant que je suis dans la pièce, je pose mon Frelon sur le table, crosse vers le lit, c'est temporaire, bientôt il ira sous le coussin. Je laisse la penderie tranquille, peu propice à l'installation de dispositif et m'attaque au désossage de la salle de bain. Le pommeau de douche est normal, de même que le robinet de la vasque et la chasse d'eau, je remonte le tout et glisse mes doigts derrière le miroir qui orne la pièce. Ne pouvant aller bien loin j'attrape le sèche-cheveux mis à disposition et lui fait parcourir tout le bord droit en le suivant de l'autre côté avec ma main gauche. Le but est de sentir un objet placé au dos de la glace grâce au flux d'air qui se couperait le cas échéant, malheureusement la technique est loin d'être fiable et je ne fini même pas mon chemin.
Mon regard vient de croiser celui de mon reflet et une sensation de vide s'est créée dans ma poitrine. Ce sentiment immuable et stupide qu'on a oublié quelque chose. Je n'ai rien oublié, je sais ce qu'il veut, il veut savoir pourquoi j'ai épargné le gars qui m'a tendu un piège, le gars qui m'a torturé psychologiquement, le gars qui a pris un gosse en otage comme dernier rempart, le gars que j'avais au bout de mon arme après que j'ai abattu l'enfant, mais surtout le gars que j'ai laissé attaché à une chaise en espérant que les parents du gamin, que j'ai par la suite averti, iraient se faire justice tout en récupérant le corps de leur chair. Mes yeux se baissent d'eux-mêmes, intimidés par la bête qui me fait face, j'entends très clairement la voix qui me dit "tout ça pour ça", ma voix. Mon poing se serre autour de la vasque alors que mes paupières se ferment. J'ai envie de briser ce miroir, comme les autres avant et sûrement comme les autres après si je continue ainsi. Au lieux de ça, je prends sur moi, il faut que je cesse de céder. Ma frappe s'écrase sur l'interrupteur à ma droite, me plongeant dans le noir et faisant disparaître le reflet. Je sors de la pièce en claquant la porte, attrape ma mitraillette et me laisse tomber sur le lit, épuisé.
Quand mes yeux papillonnent enfin mon OmniTech indique une heure déjà avancée dans la soirée, il faut que je mange. Sortir outillé ainsi est trop voyant, j'ôte donc mon armure, enfile mon manteau et fourre ma mitraillette au fond de la poche droite avant de relever le col. Pour ce qui est de mon fusil, je le glisse entre le matelas et le sommier. Ces mécanismes, que ce soit à mon entrée ou à ma sortie de la chambre, sont presque religieux, ils font partis de cette once de paranoïa qui vous garde parfois en vie dans ce job. Avant d'aller au restaurant, j'opte pour un détour par le bar. Derrière le comptoir, un Galarien m'accueille en souriant et en demandant ma commande.
"Un truc non alcoolisé, pétillant et bien sucré, vous avez ?"
"Pour sûr, je vais vous trouver ça."
Il s'éclipse un instant et revient avec un grand verre rempli à ras bord d'un liquide rouge.
"Voilà, c'est un soda imitant le goût de fruits humains mais pour les dextros."
J'ouvre mon OmniTech, prêt à régler et hausse une arcade en voyant le tenancier plisser les yeux devant moi.
"Pardon, c'est juste que j'ai l'habitude de voir passer du monde, du coup je fini par savoir anticiper les commandes, mais vous.. Excusez-moi mais je vous voyais plus tourner au gros tord-boyaux."
Je laisse échapper un petit rire.
"Y a pas de mal, parfois on doit garder les idées claires pour se remettre en question."
Le Galarien affiche une mine désolée.
"Problèmes de coeur ?"
"On peut dire ça ouais."
Je règle et vais m'asseoir à une table à l'écart. Je sirote mon breuvage du bout des lèvres, le goût n'est pas déplaisant mais je regrette les glaçons qui ne sont pas vraiment appropriés à la température extérieure.
Mes pensées m'absorbent et je revis des scènes déplaisantes de torture que j'ai moi-même perpétré au cours de mon existence entre chaque gorgé, avalée à grande peine. Soudain, le bruit du raclement de chaises proches me sort de ma torpeur. J'observe les deux arrivant, un coup d'oeil vers le hall d'entrée me permet d'ajouter au moins deux autres personnes au groupe. Je soupire.
"Si c'est pour essayer de me plumer à un jeu truqué, sachez que j'ai connaissance de vos tactiques de triche et que cette boisson est sans alcool."
Évidemment ils ne venaient pas pour ça, l'accoutrement était riche mais pas exubérant comme celui des tricheurs cherchant à passer pour d'honnêtes bourgeois trop plein d'argent.
"Ne jouez pas au con."
C'était le type en face de moi. Ma main avait glissé dans ma poche et s'était refermée sur la poignée de ma mitraillette. A ma gauche, le deuxième avait aussi passé les mains sous la table.
"Vous avez des comptes à rendre."
Au moins j'étais fixé, il s'agit donc de représailles lié à mon séjour sur Elysium.
"Si j'en ai, tu n'es certainement pas qualifié pour les recevoir. Vous faites beaucoup de bruit pour une organisation secrète, foutez moi le camp avant que je ne vous attrape un à un et vous étripe, remarquez c'est votre truc non ? La violence à l'état pur, enfin c'était le truc de votre boss avant que je ne le choppe."
La pique arrache une grimace à celui qui semble être le meneur.
"Tu parles beaucoup mais sache que c'est une condamnation à mort que nous t'apportons."
Je ricanne sèchement et avale une nouvelle gorgée de mon verre.
"Assez rigolé pour ce soir, cassez vous. Vous poserez votre condamnation avec les autres. Je suis le seul à décider du jour où je passerai l'arme à gauche et c'est certainement pas en vacances que ça va arriver. Vous avez excité quelque chose enfouie en moi alors il serait avisé de vous dépêcher parce qu'il a encore faim."
Tout au long de ma tirade je m'étais penché vers l'insolent en face pour me retrouver à une dizaine de centimètres de son visage et avait fini en lui montrant ma langue passant sur mes dents. Avec un grommellement, il se lève et part, faisant signe à ses hommes de le suivre. Je le suis du regard et lâche un profond soupir quand la porte se referme derrière le dernier membre. Ces imbéciles allaient laisser un gars pour surveiller mes allers et venues, c'était sûr. Je me lève, las de ces conneries, et me dirige vers la sortie.
Une fois dehors, je piste les trace de pas, un groupe comme ça se repère assez facilement malgré le passage fréquent de touristes, de plus il était l'heure de manger donc les rues se vidaient peu à peu au profit des restaurants. Je trouve mes zouaves dans une ruelle non loin, ça piaille des ordres à tout va. Après quelques instants, la dispersion est déclarée, le dernier à quitter la venelle est mon client. Je regarde les autres partir, adossé au mur faisant l'angle, sous camouflage et attrape le bougre à la bouche quand il me passe à côté. Le revoilà à la case départ, il n'a pas touché vingt milles mais sa lèvre supérieure saigne après un coup qui a révélé, sous ses yeux ébahis, la personne qu'il devait surveiller. Ses potes n'étant pas très loin, je garde ma main collée à son visage pour étouffer tout son, de mon bras libre, je plaque le canon de ma mitraillette sur sa gorge. L'effet est immédiat, l'homme ne se débat pas et se contente de me regarder avec les larmes aux yeux. J'attends ainsi quelques longues secondes et fini par libérer sa bouche, il se met à me supplier mais je l'arrête en posant doucement un doigt sur sa bouche.
"Normalement, je t'aurais abattu d'un tir dans le crâne. Sauf que vous avez joué avec moi, vous avez voulu voir ce dont j'étais capable, je ne vous ai pas déçus, pas vrai ? Mais quand on joue il faut assumer, alors il faut que tu saches que c'est pire qu'une condamnation à mort ce qui pend au dessus de chacune de vos têtes. Tu veux savoir ? Tu devais me surveiller, j'ai entendu, je comprends, ça fait parti du business, mais du coup j'ai une petite voix qui me dit de te punir et pour te punir il faudrait te couper la langue, te crever les yeux et te percer les tympans, comme ça tu pourrais plus surveiller."
Je laisse un instant pour que mes mots s'impriment bien en lui puis soupire.
"Heureusement pour toi je suis en crise existentielle alors tu vas juste t'évanouir et aller raconter à tes boss de me foutre la paix."
Je ponctue en le frappant au foie, il s'effondre inconscient, je range mon arme et retourne à l'hôtel, droit à ma chambre. Une fois arrivé je balance mon manteau sur le lit et file dans la salle de bain, il faut que je me douche. Je garde la lumière éteinte pour ne pas affronter mon reflet et tente d'évacuer tous mes sentiments dans les canalisations. Mes vacances seront longues, aucun doute. A moi la neige, les montagnes et les problèmes..